Un mur de Berlin à Drummondville ?

 

En novembre 1975, un rempart de béton surgit sur le boulevard Saint-Joseph, soulevant la division non seulement entre les deux côtés de la voie, mais également entre une part de la communauté drummondvilloise et le conseil municipal de la ville. Plusieurs citoyens surnomment alors le muret « mur de Berlin » ou encore « mur de la honte » en guise de protestation. Ce mur, haut de 3 pieds et séparant le boulevard sur plusieurs centaines de mètres, empêche les automobilistes de tourner à gauche. Ils doivent alors constamment le contourner complètement afin d’accéder aux commerces situés sur l’artère principale.

Une question de sécurité

En mars 1975, le conseil municipal de Drummondville accorde une somme de 32 000 $ pour la mise en place du mur ayant pour objectif de réduire les accidents routiers sur le boulevard Saint-Joseph. La mise en place d’un système de feu de circulation est également déployée à cette fin à la hauteur des Galeries Drummond. Hélas, un rapport de la Sureté municipale démontre que le nombre d’accidents augmente malgré la présence du mur, bien que ces accidents soient de moindres sévérités. Au cours de ces 7 mois, on enregistre 18 accidents comparativement à 16 l’année précédente pour la même période. De plus, certains piétons à la hâte, devant simplement se rendre de l’autre côté, vont même jusqu’à escalader le mur afin de traverser la rue, ce qui se révèle très dangereux.

Une grogne populaire

Outre les piétons et les automobilistes, ce sont surtout les commerçants, surpris de l’apparition soudaine de ce rempart, qui pressent la ville de l’enlever au plus vite. Les pertes financières de ces derniers ne sont pas moindres. Certains, comme M. Guy Fournier, propriétaire d’une station-service, avancent des pertes significatives quant à la vente de l’essence, soit environ 3 000 gallons de moins par semaine. En plus d’une intervention publique de la part de la Ligue des Propriétaires, c’est aussi une dizaine de pétitions qui circulent alors afin de faire tomber le mur de béton.

Le 25 mai 1976, les commerçants attendent anxieusement un verdict dans la petite salle de l’école Garceau lors d’une réunion du conseil municipal : à quatre voix contre trois, il est décidé de placer un moratoire d’un mois sur le sujet et de confier la question à la firme d’ingénieur St-Pierre, Bertrand, Savoie, Charron & Associés dans le but d’effectuer une étude complète sur la circulation routière du boulevard. Les commerçants sont furieux à un point tel que M. George Haggerty, perçu comme le « commissaire industriel » de Drummondville, menace de ne plus réaliser certains projets pour la ville à l’aide de ses compagnies si le mur n’est pas enlevé au plus vite.

Des pistes de solutions

Parmi les avenues possibles pour la résolution du conflit, il est proposé par le conseil de scier le mur à 18 pouces de haut et d’élargir des ouvertures de rues, croyant que cette solution ne couterait seulement que 3 000 $. L’idée est abandonnée, considérant que la facture s’élève plutôt à 14 000 $. Un expert en circulation travaillant depuis plus de 12 ans dans le domaine à Drummondville propose quant à lui d’enlever le mur et d’installer un système d’arrêt périodique tel que sur la Grande Allée dans la ville de Québec. Finalement, lorsque la firme d’ingénieurs revient avec ses recommandations un mois plus tard, le conseil, craintif et prudent à la suite de toute cette mésaventure, hésite à les appliquer sur le champ. Ces recommandations prévoient l’installation d’un terre-plein de 700 pieds incluant des sorties supplémentaires et d’un système d’éclairage, le tout au coût de 50 000 $.

La fin d’une coûteuse controverse

En juillet 1976, le mur est finalement enlevé et les recommandations sont sur le point d’être appliquées. Outre l’irritation des usagers du boulevard et des pertes pour les commerçants, le mur aura coûté plus de 105 000 $ en comptant ses matériaux et son installation (45 284 $), la firme d’ingénieur (3 042 $), son retirement par la firme Sintra (6 954 $), puis son remplacement par l’installation d’un terre-plein de 350 pieds, au lieu des 700 recommandés (50 000 $).

Bien que ce ne soit évidemment pas un des pans les plus rayonnants de notre passé, il est important de se rappeler que l’erreur est humaine et qu’elle fait partie de notre histoire. Ce sont ces anecdotes qui nous font parfois réaliser tout ce que nous avons traversé et nous permettent d’apprécier où nous en sommes aujourd’hui.

Kévin Lampron-Drolet

Visuel : Installation du « mur de la honte » sur le boulevard Saint-Joseph, Drummondville, 1975.

Source : Société d’histoire de Drummond, Fonds La Parole; P89-751203-004.