Pas de 3e barrage, mais une forêt!

Se peut-il qu’un important projet, qui ne s’est jamais réalisé, ait donné naissance à un autre encore très vivant aujourd’hui ?

C’est pourtant ce qui se produit dans Drummond, alors que la construction d’un 3e barrage sur la Saint-François n’a jamais vu le jour, mais que la forêt qui devait l’accompagner existe bel et bien encore.

En 1915, la Southern Canada Power (SCP) érigeait un premier barrage (Lord) vis-à-vis Drummondville pour alimenter l’usine hydro-électrique de la rue Du Pont. En 1924, 2e barrage et 2e usine (Hemming). La SCP décide alors d’en construire un troisième, cette fois à la hauteur de l’ile Jersey (ile Ronde), vis-à-vis Saint-Majorique et Saint-Joachim. Qui dit barrage dit augmentation du niveau de l’eau dans la rivière: de 16 mètres (53 pieds) dans ce cas-ci, ce qui amènera l’apparition d’un long lac artificiel jusqu’au parc des Voltigeurs.

Pour solidifier les berges et prévenir tout risque d’effondrement ou de glissement de terrain, la SCP se met à acheter, aussitôt qu’en 1927, les terres agricoles et boisées, de chaque côté de la rivière, dès qu’elles deviennent disponibles. À compter de 1939, elle y plante des dizaines de milliers d’arbres, surtout des conifères (pins rouges ou blancs, épinettes rouges ou blanches, mélèzes laricins, etc). C’est ainsi qu’est née la Forêt-Drummond, de chaque côté de la rivière, sur une vaste superficie de plus de 28 km carrés.

Le jeudi 15 juin 1961, M. J.A. Pagé, président de la SCP, dévoilait à un petit groupe d’hommes d’affaires les plans et la maquette des futurs 3e barrage et usine hydro-électrique, en précisant que, dès que la demande d’électricité serait suffisante, ce 3e complexe serait construit sur l’ile Jersey. Après 22 ans de plantations, affirmait-il, les berges étaient devenues assez solides pour accueillir cette hausse importante du niveau de l’eau.

On connaît la suite: la SCP a été nationalisée au milieu des années 60, transférée à Hydro-Québec et le barrage et l’usine de l’Ile Jersey n’ont jamais été construits.

Mais la forêt, elle, est toujours bien vivante: des pins rouges, plantés en 1939 ont maintenant atteint leur pleine maturité à l’âge vénérable de 70 ans… La forêt est toujours propriété à 76 pour cent d’Hydro-Québec et à 24 pour cent du ministère des Ressources naturelles du Québec.

Gérald Prince

Photo : La Southern Canada Power, vers les années 30 (Coll. SHD).