L’émeute de 1945

L’entrée en guerre du Canada en 1939 pose d’emblée le problème du recrutement de soldats pour défendre le pays et pour combattre outre-mer.  Le premier ministre Mackenzie King établit le service militaire obligatoire (conscription) pour la défense du Canada en 1940 en décrétant l’Enregistrement national, qui oblige les hommes de 18 à 40 ans à subir quatre mois d’entraînement pour servir au pays.  En 1942, afin de pallier le manque de recrues, le gouvernement impose la conscription pour le service outre-mer, à la suite d’un plébiscite tenu sur la question. Un certain nombre de jeunes gens tentent alors de se soustraire à la loi.  La GRC et la police militaire (les prévôts) se chargent de les repérer et de les arrêter, sans toujours réussir; ainsi un certain Louis Letellier leur échappe à deux reprises en 1943 et à l’automne 1944 (face à une foule hostile). 

On peut présumer que c’est pour laver cet affront que les policiers interviennent en force le 24 février 1945, alors une centaine d’entre eux débarquent à Drummondville pour cueillir les réfractaires (une descente effectuée par une douzaine d’agents suffit à créer tout un émoi en 1943). En fin de soirée, ils se mettent en frais de vérifier les papiers des jeunes gens qui sortent du cinéma Capitol vers 11h40, rudoyant semble-t-il certains d’entre eux.  La foule de 1200 personnes se met alors de la partie et s’en prend aux agents en utilisant ce qui lui tombe sous la main, blocs de glace, bâtons, planches, bouteilles…  Débordés, les policiers reculent sur la rue Marchand, puis retraitent sur la rue Heriot en direction du quartier général de la GRC situé à l’étage de l’édifice de l’Union Saint-Joseph de Drummondville (L’Union-Vie). 

Le tumulte est tel qu’on peut l’entendre à des milles à la ronde. Les prévôts réussissent à deux ou trois reprises à reformer les rangs et à charger la foule à coups de garcettes, mais la cohue reprend le dessus avec ses poings, ses bouts de planches et ses projectiles et repousse le cordon policier jusqu’au bas de la rue Heriot. Les manifestants cassent les vitres du quartier général de la GRC et s’en prennent aux véhicules, endommagent sérieusement sept camions et réduisent à l’état d’épaves trois automobiles à coups de pelles, de barres de fer… Au bout d’une heure et demie, policiers et gendarmes quittent la ville et regagnent le camp de Longueuil.  Les descentes effectuées dans l’après-midi dans les lieux habituels (salles de quilles, restaurants, tavernes…) et la soirée permettent l’arrestation d’une soixantaine de jeunes gens, tous relâchés sauf huit, emmenés à Montréal pour interrogatoire. De ce nombre, quatre comparaissent au Palais de justice d’Arthabaska sous l’accusation de ne pas s’être conformés à la Loi de l’enregistrement national.  Deux seulement sont condamnés à 25$ d’amende et emmenés au camp militaire de Sherbrooke pour faire leur entraînement : somme toute, un résultat assez mince pour une opération sans précédent, et qui a un retentissement énorme, au Canada, aux États-Unis et jusqu’en Europe.