Cinquante ans de peignes et de blaireaux

Tout était enfin prêt. Ses rasoirs avaient été affûtés avec précision, ses blaireaux étaient propres, ses peignes à portée de main, sa mousse, ses shampooings et ses autres lotions bien en vue sur le comptoir, près de l’évier, et sa chaise en cuir bien cirée. C’était en mai 1933, à Drummondville. Le barbier Leblanc venait tout juste d’ouvrir son salon, rue Lindsay, en face de l’Hôtel de ville. C’était un petit salon, sans fioriture ni poteau de barbier. Une enseigne bien simple allait faire l’affaire. Le printemps était arrivé et les gens déambulaient dans les rues du centre-ville. Ne restait plus qu’à ouvrir boutique et attendre.

Donat Leblanc est né le 15 juin 1912 à Durham-Sud. En 1929, après ses études au Collège des barbiers, The Moler System Of College, Donat ouvre un premier salon à Durham-Sud. Malgré ses dix-sept ans et son inexpérience, le jeune homme réalise ses premières coupes de cheveux et ses premiers rasages de barbes avec assurance et distinction.

En 1933, le barbier Leblanc quitte son village natal pour venir s’installer en ville, au 416 rue Lindsay. En mai, il ouvre officiellement boutique et accueille sur sa chaise ses premiers clients. Une coupe de cheveux coûte alors 0,25$ et un rasage 0,15$, une bouteille de shampooing 0,35$ et une lotion après-rasage 0,15$. Les visites chez Donat se suivent et se ressemblent : lavage et coupe de cheveux au ciseau, brin de jasette, coup de peigne et mise en plis, compresse d’eau chaude sur le visage, moussage du savon à barbe et rasage à la lame droite. Plus qu’un simple salon de barbier, les hommes s’y rassemblent aussi pour jouer aux cartes ou aux dames et s’enquérir des dernières nouvelles.

En 1937, le salon change d’adresse pour le 464 rue Lindsay, en face du Théâtre Drummond. Le propriétaire profite de l’occasion pour se doter d’un fameux poteau de barbier, symbole commercial par excellence des «vrais» Barber Shop. Ainsi, un cylindre marqué de bandes en spirales bleues, blanches et rouges est installé à l’entrée de la boutique et tournoie sans cesse à la recherche de nouveaux clients.

En 1954, le barbier Leblanc s’installe finalement au 202 rue Raimbault, à quelques pas du Parc Sainte-Thérèse. Il y accueille clients, famille et amis durant près de trente ans. Une fois ses journées de travail terminée, il range blaireaux et rasoirs et rentre à la maison, située juste à côté de son commerce, pour rejoindre sa femme Gertrude et ses enfants, Raymonde et Jean. Puis, le 30 juin 1983, après sa dernière coupe de cheveux, Donat est victime d’un malaise. Il s’éteint au cours de la nuit suivante, le 1er juillet 1983, à l’âge de soixante et onze ans.