1917 : la conscription

À l’été 1914 éclatait la Première Guerre mondiale, à laquelle le Canada n’eut pas le choix de participer, car il était encore dépendant de sa mère-patrie l’Angleterre. Le premier ministre Robert Borden comptait sur l’enrôlement volontaire pour combler les effectifs de l’armée, mais il devint bientôt évident que cela ne suffirait pas à combler les pertes subies au front.  Les Canadiens anglais s’enrôlaient nombreux pour aller défendre l’Angleterre, mais les Canadiens français ne manifestaient aucun empressement à le faire.  Borden décida donc en 1917 d’imposer la conscription, c’est-à-dire l’enrôlement obligatoire des hommes de 20 à 45 ans.  Les anglophones appuyaient cette mesure, mais les francophones n’étaient pas très enthousiastes à l’idée de se battre pour l’Angleterre. 

Sans surprise, ils manifestèrent leur opposition : le conseil de comté de Drummond adopta le 13 juin 1917 une résolution pour dénoncer tout projet de conscription : après tout, le Canada fournissait déjà 400 000 hommes et du matériel ; en outre, la conscription allait priver l’agriculture et l’industrie de la main-d’œuvre indispensable. Le 29 juillet, une assemblée anti-conscriptionniste réunit 5000 participants à Drummondville, mais l’opposition des francophones n’empêcha pas l’adoption de la loi.

Tous les jeunes gens devaient s’enregistrer, faute de quoi ils seraient considérés comme déserteurs, perdraient leur emploi et seraient emprisonnés ou forcés d’aller à la guerre.  Certains appelés négligèrent de se présenter à l’entraînement et se cachèrent dans les fermes et dans les chantiers forestiers pour échapper à la police.  Des enquêteurs de la GRC se présentèrent à l’occasion à Drummondville pour retracer ces réfractaires, sans toujours connaître le succès.  La chasse aux insoumis provoqua une émeute à Québec au printemps 1918 : l’armée fit feu sur la foule et tua quatre manifestants.

Des centaines de jeunes gens de la région furent appelés pour faire leur entraînement, au printemps et à l’été 1918. Plusieurs obtinrent un congé en tant que fils de cultivateurs, d’autres restèrent au Canada, certains furent envoyés outre-mer. Rodrigue Lemire, né en 1897, a été enrôlé le 19 juillet 1918 et démobilisé le 1er avril 1919 après avoir bénéficié d’un congé à des fins agricoles.  Lorenzo Gervais, né en 1897, fut appelé le 6 juin 1918, atterrit en Angleterre le 15 juillet, puis rejoignit le front le 8 novembre 1918, juste avant l’armistice du 11 novembre.  Il rentra au Canada le 28 mai 1919.

En fait, toute cette agitation autour de la conscription semble hors de proportion avec le nombre de soldats mobilisés. 424 000 volontaires canadiens ont combattu outre-mer ; 48 000 conscrits les ont suivis en 1918, dont 24 132 furent envoyés au front à partir de juillet 1918, peu de temps avant l’armistice du 11 novembre.  Le nombre de conscrits morts au combat est donc insignifiant par rapport aux 66 000 volontaires qui y ont laissé leur vie. C’est à croire que Borden voulait contenter les anglophones sans trop indisposer les francophones…