Un désastre patrimonial

Les édiles municipaux n’ont pas toujours été sensibles au patrimoine. En 1979, la vieille gare du Canadien Pacifique (la deuxième du nom) est menacée de démolition par le projet de prolongement de la rue Saint-Damase. Un groupe de 22 étudiants se porte alors à la défense de la gare. Invoquant le coût trop élevé (de 250 000 à 500 000 $) du déménagement et de la relocalisation, la ville tente de damer le pion au ministère des Affaires culturelles qui envisage de classer la gare comme monument historique, à la demande de la Société d’histoire. 1000 citoyens signent donc une pétition afin d’éviter une démolition en catastrophe, en prétextant que la gare du CP, malgré son jeune âge, forme « un jalon important dans l’évolution de l’architecture ferroviaire. »

Un citoyen, M. Réal Ally, propose même de se porter acquéreur du bâtiment, à un coût inférieur à sa démolition. Après s’être vue confier le dossier le 23 août, la Commission des biens culturels tient des audiences publiques le 30 octobre. Sept organismes ou individus y déposent un mémoire. Liant le prolongement de la rue Saint-Damase à la démolition de la gare, la municipalité exprime une fin de non recevoir. Affirmant qu’ « il ne faut pas retarder le progrès », l’Association des Marchands détaillants insiste même sur le fait qu’il existe des bâtiments historiques plus intéressants…Chez les opposants, on présente de nombreuses alternatives à la démolition : café étudiant, musée ferroviaire ou du textile, centre culturel ou communautaire, local pour les étudiants en musique du CÉGEP, restaurant, maison des vins, café culturel, local pour le bureau du Tourisme et des Congrès…

Mais les audiences publiques ne peuvent empêcher l’inévitable : aucun avis de classement n’ayant été émis trois mois après la fin des audiences publiques, la ville fait démolir la gare le 25 février 1980. Pour sa part, le M.A.C. maintient que l’avis de classement n’attendait plus que la signature du ministre… Il est difficile de savoir qui a raison dans cette histoire, chacune des parties se donnant le beau rôle. La Société d’histoire pose une question pertinente : « En avait-on assez d’attendre une décision gouvernementale qui ne venait pas, ou craignait-on cette décision ? » Mystère. Toujours est-il que 13 mois après la démolition de la gare, les travaux de parachèvement de la rue Saint-Damase n’ont pas encore débuté. La démolition est urgente, qu’ils disaient…

Jean-Pierre Bélanger

 

Légende : Deuxième gare du Canadian Pacific, construite en 1927. (Reproduction, Coll. SHD)