Le pin blanc, jadis Roi de la forêt de Saint-Lucien

Au début du XIXe siècle, seules quelques familles d’origines allemande et britannique s’étaient implantées en bordure des rivières Saint-François et Nicolet.  L’arrière pays de Saint-Lucien, presqu’entièrement couvert de sables acides et à drainage déficient, n’offrait qu’une très faible valeur agricole.  D’autant plus que pour assécher leurs terres, les colons devaient creuser, à la petite pelle, des fossés de la hauteur d’un homme et larges de trois mètres au fond.

Toutefois, la présence nombreuse de pins blancs avait été remarquée par de gros entrepreneurs forestiers, tels Valentine Cooke (Drummondville), G. W. Ross (Saint-Nicholas) et L.-A. Sénécal (Pierreville).  Le pin blanc d’Amérique (Pinus Strobus) était reconnu pour sa longévité, sa résistance à la pourriture et sa capacité à retenir sa forme sans gauchir, même sous les variations atmosphériques.  C’est pourquoi la couronne britannique se réservait les meilleurs arbres de ses colonies pour la construction des vaisseaux de la Marine royale.

Dans le secteur N-W de Saint-Lucien, les loams sableux déposés par la mer de Champlain avaient favorisé la croissance de pins blancs de taille exceptionnelle et qui, de surcroît, fournissaient des billots bien droits et sans défaut apparent.  Abattus durant l’hiver, les pins étaient aussitôt équarris et transportés sur les berges des rivières Saint-François ou Nicolet.  Lorsque survenait le dégel de la mi-avril, ils étaient jetés à l’eau et dévalaient pêle-mêle jusqu’à Notre-Dame-de-Pierreville (s’ils appartenaient à Cooke ou Sénécal) ou jusqu’au Port Saint-François (s’ils avaient été coupés pour Ross).

Pour la dernière étape de leur voyage vers le port de Québec, les pins équarris étaient assemblés en radeaux qui descendaient le fleuve Saint-Laurent au gré du courant.  À destination, les radeaux étaient démontés.  Les centaines de pièces de bois ainsi récupérées étaient utilisées dans la construction navale ou chargés à bord de navire à destination de l’Angleterre ou des États-Unis.

Il aura fallu à peine une génération d’hommes pour voir disparaître les pins blancs géants de Saint-Lucien.  Cependant, selon l’agronome-pédologue Lucien Choinière, des souches témoignent de l’existence de cette ancienne et belle pinède dans les 7e et 8e rangs du canton de Simpson, en particulier sur les lots 13 à 18.  À qui la chance de les mesurer et de les photographier ?

Yolande Allard

Photo : À chacune de ses visites aux divers chantiers du canton de Simpson, le curé Bellemare s’étonnait des énormes charges de billots (jusqu’à 75) qui circulaient sur des chemins arrosés pendant le froid de la nuit. (SHD, Fonds René Desrosiers; P2-3C1)