Le carabinier Onil Boisvert: conscrit et mutin de la Grande Guerre

 

PREMIÈRE GUERRE MONDIALE. En mars 1918, le gouvernement russe bolchévique signe un traité de paix avec le Reich allemand et retire ses troupes du front de l’Est. L’Allemagne concentre dès lors son armée sur le front de l’Ouest et tente de vaincre la France et l’Angleterre. En réponse, les Alliés, dont le Canada, déploient une force armée internationale en Russie avec l’objectif de rétablir le front de l’Est contre l’Allemagne.

Ainsi, le 12 août 1918, la levée du Corps expéditionnaire canadien en Sibérie (CEC Sibérie) est autorisée et le recrutement débute aussitôt dans les provinces. Au total, le contingent compte un effectif de 4210 soldats, ingénieurs, cuisiniers, médecins et infirmières. De ce nombre, 1653 sont des conscrits, enrôlés de force. Onil Boisvert est l’un de ceux-là. Son histoire est fascinante.

Originaire de la municipalité rurale de L’Avenir, comté de Drummond, Onil Boisvert naît le 9 juillet 1896. Fils cadet du cultivateur Amable Boisvert et de dame Olympe Demanche, il grandit dans la campagne l’aveniroise entouré de ses six frères et sœurs. Les sources documentaires n’offrent aucune autre information sur la vie d’Onil avant la guerre, sinon que la famille Boisvert habite toujours L’Avenir au recensement de 1911.

La Première Guerre mondiale éclate en 1914. Au départ, les volontaires sont nombreux, puis le recrutement stagne et les soldats morts au champ d’honneur ne sont bientôt plus remplacés. Le 28 août 1917, après plusieurs mois d’hésitation, le gouvernement canadien promulgue la Loi sur le service militaire obligatoire. Le processus d’appels débute en janvier 1918 et la plupart des conscrits s’enrôlent malgré eux au cours de l’été.

Onil Boisvert s’enregistre au quartier général du 2e Bataillon de réserve du 2e Régiment de Québec, à Montréal, le 17 juillet. Son dossier de service militaire indique qu’il a 22 ans à la signature de son contrat, qu’il est célibataire, sans enfant, et qu’il habite dans la municipalité de Saint-Félix-de-Kingsey, comté de Drummond, où il gagne sa vie comme cultivateur.

Le 21 octobre, le soldat Boisvert est transféré dans le 259e Bataillon. L’unité est alors commandée par le lieutenant-colonel Albert Swift, qui établit son quartier général aux baraquements de la rue Peel, à Montréal. Le bataillon d’infanterie regroupe 4 compagnies : une de Toronto (A), une de Kingston et London (B), une de Montréal (C), dont fait partie Onil, et une de Québec (D).

À la fin du mois d’octobre, le carabinier Boisvert et ses compagnons d’armes quittent Montréal en train vers le Camp Willows de Victoria, Colombie-Britannique, où ils seront cantonnés durant l’automne. En novembre, bien que la guerre soit terminée, le gouvernement canadien prolonge son engagement militaire auprès des Alliés pour régler les troubles en Russie et annonce le déploiement du 259e Bataillon avec le CEC Sibérie.

Onil et ses camarades de section contestent cette décision, soutenant qu’en tant que cultivateurs, ils étaient plus utiles à la ferme qu’à la guerre, mais sans succès. Le 21 décembre, les soldats du Camp Willows sont réveillés à l’aube et sont forcés de quitter leurs tentes pour se rendre au port de Victoria en vue du départ pour Vladivostok. En route, des conscrits de la compagnie C refusent d’obtempérer à l’ordre de marcher.

Le carabinier Onil Boisvert rompt même les rangs et affirme qu’il n’ira pas en Sibérie. À la demande des officiers, les agitateurs sont battus et fouettés à coups de ceinture par les soldats ontariens des compagnies A et B, puis escortés à la pointe de baïonnette jusqu’au quai d’embarquement. Les insubordonnés résistent encore et 23 heures sont nécessaires pour les faire monter à bord du S.S. Teesta, qui lève l’ancre le lendemain.

Enchaînés à fond de cale, Onil et les autres mutins n’ont droit à aucune douche ni aucun changement de vêtement durant les 38 jours suivants. La traversée est terrible. En plus de devoir supporter les chaînes, les prisonniers subissent les conséquences d’une violente tempête et souffrent, comme le reste de l’équipage, du froid, de la faim et de la maladie. Le navire S.S. Teesta accoste à Vladivostok le 21 janvier 1919.

Condamné à deux ans d’emprisonnement avec travaux forcés par la Cour martiale pour s’être mutiné, le soldat Boisvert voit sa sentence suspendue par le gouvernement canadien le 15 avril et obtient la permission de rentrer au pays le 19 mai, sans avoir participé à aucune opération militaire en territoire russe. Après la guerre, Onil s’installe à Montréal et fait carrière dans la force constabulaire de la métropole.

Martin Bergevin

Visuel : Onil Boisvert, du 259e Bataillon, Montréal, 1918.

Source : Collection Karel Ménard.