Des licences et des hommes

 

La forte croissance de Drummondville durant les années 1920 oblige les autorités municipales à trouver de nouvelles sources de revenus. La Ville adopte ainsi en 1923 le règlement 111 qui lui permet d’imposer des licences sur « … tous commerces, manufactures, établissements financiers ou commerciaux, occupations, arts, professions, métiers ou moyens de profits ou d’existence désignés dans la nomenclature suivante, exercés ou exploités dans la ville de Drummondville par une ou des personnes, sociétés ou corporation. »

Le coût de ces licences va de 10 $ pour les vendeurs de glace à 200 $ pour les colporteurs, les compagnies de toutes sortes ainsi que les vendeurs de bière et de vin. Les professionnels ne sont pas épargnés. Avocats, notaires, médecins, dentistes, ingénieurs, architectes et opticiens doivent débourser 50 $ pour exercer leur art. En fait, on pourrait croire que les journaliers, les cultivateurs et les employés d’usine sont les seuls à ne pas être touchés. Eh bien non ! Une taxe de 2 $ s’applique aussi « … sur tout habitant mâle âgé de 21 ans et plus, ayant résidé dans la ville depuis six mois et qui n’est chargé d’aucune autre taxe ou licence. »

Cependant, la loi prévoit quelques rares exceptions. « Cette taxe ne s’appliquera pas aux ministres du Culte, aux membres d’une communauté religieuse, ni aux étudiants, apprentis ou domestiques. »

Malheureusement, certains voient dans l’octroi de ces licences un mécanisme pour éliminer leurs concurrents. Plusieurs marchands établis n’aiment guère les vendeurs itinérants, souvent d’origine étrangère, qui sillonnent la ville avec leur camion ou leur charrette emplie de marchandises diverses. Le lobby de ces commerçants est tel que la Ville adopte en mars 1925 le règlement 125 qui amende le règlement 111 sur les licences. La vente itinérante de toute marchandise autre que des fruits et légumes est maintenant interdite alors qu’auparavant elle était autorisée en payant une licence annuelle de 200 $.

La réponse ne tarde pas. Michel Yannovitch, un vendeur itinérant qui se voit refuser le renouvellement de sa licence de colporteur en mai 1925, se rend voir les avocats Garceau & Ringuet pour consultation. L’ancien maire Napoléon Garceau et son associé considèrent que la Ville a outrepassé son champ de compétence en amendant le règlement sur les licences. Ils déposent le 15 mai 1925 à la Cour supérieure un bref de sommation enjoignant la cour à déclarer illégal le nouveau règlement 125 prohibant la vente itinérante sur le territoire de la ville.

L’affaire rebondit rapidement au Conseil de Ville et les élus demandent un avis légal sur la question. À la grande satisfaction de Yannovitch, les juristes consultés en arrivent à la conclusion que le règlement n’est pas valide. La Ville se résout donc à l’annuler en juillet 1925… au désespoir de certains marchands.

Robert Paré

Visuel : Vue de la rue Cockburn, Drummondville, durant les années 1920.

Source : Société d’histoire de Drummond, Collection Cartes postales ; C3-3.1D1